Contexte de l’affaire
Un directeur de site employé par la société Automobiles Générales Martiniquaises (Autos GM) démissionne en décembre 2017, avec un préavis courant jusqu’en mars 2018. Or, au cours de cette période, l’employeur découvre que le salarié, toujours en fonction, participe activement à un projet de rachat d’une société concurrente. Il échange des courriels avec ses futurs partenaires, transmet des informations confidentielles et dissimule son implication dans cette opération, notamment en mettant son épouse comme actionnaire temporaire.
L’employeur produit alors en justice des courriels issus de la messagerie personnelle du salarié. Ce dernier invoque une atteinte à sa vie privée. La Cour d’appel admet la recevabilité des pièces. La Cour de cassation confirme.
Apports de l’arrêt pour les employeurs
1. Le droit à la preuve peut justifier une atteinte à la vie privée
La Cour rappelle que la production en justice de documents issus de la sphère privée (courriels personnels, notamment) est possible si deux conditions sont réunies :
- Elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
- Elle est proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de l’employeur.
En l’espèce, l’employeur s’était limité à produire les échanges prouvant la préparation du rachat de la société concurrente et la transmission d’informations sensibles. Ces éléments étaient donc recevables.
2. Une déloyauté manifeste pouvant fonder une faute grave
Le comportement du salarié, en tant que cadre dirigeant, était incompatible avec ses fonctions :
- Négociations actives pour créer une société concurrente ;
- Utilisation d’informations confidentielles ;
- Effacement des données professionnelles à la veille de leur remise ;
- Dissimulation de son implication dans le projet.
Ces faits justifient la rupture anticipée du préavis pour faute grave, validée par la Cour.
3. Rappel des conditions strictes de la faute lourde
La société employeur avait obtenu en appel une condamnation du salarié à 200 000 € de dommages-intérêts pour exécution déloyale. La Cour de cassation casse cette partie de l’arrêt : la responsabilité pécuniaire du salarié ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde, c’est-à-dire une intention de nuire avérée, ce qui n’était pas le cas ici selon les juges.
Conclusion
1. Assouplissement de la recevabilité des preuves portant atteinte à la vie privée
Le cœur de l’apport de cet arrêt tient à la validation, par la Cour de cassation, de la production en justice de courriels issus de la messagerie personnelle du salarié, dès lors que deux conditions sont réunies :
- La preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
- L’atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi (protection d’un intérêt légitime de l’employeur).
Pourquoi c’est important pour l’employeur :
Cela permet à l’entreprise, dans un contentieux prud’homal, de produire des éléments normalement protégés par la vie privée (courriels personnels, données issues de terminaux pro, etc.), à condition d’agir dans un cadre loyal et justifié.
2. Reconnaissance d’un intérêt légitime à protéger les intérêts économiques et la confidentialité
La Cour affirme clairement que la défense de la confidentialité des affaires, de la propriété des informations internes et des intérêts économiques constitue un but légitime, pouvant justifier une restriction à un droit fondamental (ici, la vie privée).
Pour les employeurs, cela donne un fondement juridique solide pour :
- Réagir en justice à des actes de concurrence interne ou préparée en amont ;
- Se défendre en cas de divulgation d’informations sensibles à des tiers ou concurrents ;
- Agir sans être paralysé par l’obstacle classique de l’inviolabilité de la vie privée du salarié.
Référence : Cour de cassation, Chambre sociale, 26 février 2025, 22-18.179